Approche par les pairs et innovation de l’aide

L’évolution des concepts, des idées et des pratiques de l’aide est devenue de plus en plus étriquée depuis le début de la décennie 80. Cette régression est largement causée par l’absence de pression par les pairs dans la réflexion sur l’aide

Les agences d’aide sont tenues de se conformer aux objectifs de leurs politiques nationales respectives, ce qui génère souvent de la confusion et induit un manque de coordination entre elles et leurs partenaires. Ce phénomène nuit aux programmes d’aide depuis des dizaines d’années; plusieurs méthodes ont été tentées pour le circonvenir ou atténuer ses effets néfastes.

Au milieu des années 1970, le Club du Sahel a été mis sur pied parce que les donateurs ont reconnu l’envergure et la complexité considérables du problème écologique qui menaçait une population déjà frappée par des conditions d’existence très dures, population qui était en outre répartie sur sept pays (puis neuf). Ils ont compris que la résolution d’un tel problème nécessitait la mise en œuvre de politiques soigneusement conçues.

Un plan général d’action a ainsi pu être élaboré, accepté par toutes les parties concernées, puis implanté. Les donateurs et les bénéficiaires ont demandé à l’OCDE de gérer le processus de coordination de ces politiques, à titre d’expérimentation. Afin de créer la synergie voulue entre les partenaires, le Club du Sahel a repris à son compte la méthode que l’OCDE appliquait déjà depuis longtemps, et avec succès, pour obtenir des consensus sur les politiques.

Comité Inter-États de Lutte contre la Sécheresse au Sahel (CILSS)

Fondé en décembre 1973, durant la grande sécheresse qui dura de 1967 à 1974, le CILSS reçut le mandat de coordonner les actions de lutte contre les effets de la sécheresse et de mobiliser les bailleurs de fonds pour le financement des projets des États et des programmes des régions.

La mobilisation de fonds se faisait par le biais de « Pledging session ». Mais cette méthode ne coïncidait ni avec la manière de faire ni avec les besoins de la plupart des agences. Il n’existait nulle part « d’enveloppe régionale », et les crédits nécessaires au financement des projets devaient provenir d’enveloppes bilatérales déjà existantes. En général, les ennuyeuses sessions de « pledging » ajoutaient peu de crédits, car la plupart des représentants d’agences se contentaient d’annoncer des engagements déjà prévus. En effet, le volume de l’aide aux pays du Sahel était déterminé par des clefs de répartition propres à chaque agence. Pour espérer les modifier, il fallait une confiance accrue dans la qualité des mesures et des politiques adoptées.

Les années soixante-dix amenèrent un changement profond dans l’allocation des ressources. Au fur et à mesure que le volume de l’aide augmentait, l’idée dominante voulait qu’une plus large part fût consacrée aux pays les plus pauvres et aux populations les plus démunies. Les agences cherchaient donc des pays pauvres mais fiables, où il serait possible d’engager avec confiance d’importants programmes d’aide.

La création du CILSS arrivait à point nommé. Certes, son rôle de demandeur de fonds n’enthousiasmait personne, mais son évidente bonne volonté encouragea les donateurs à entamer un dialogue avec les autorités sahéliennes sur les politiques à tenir.

Le Club du Sahel

C’est en s’appuyant sur cette ouverture et cette confiance que quelques donateurs ont endossé avec enthousiasme le projet franco-américain pour créer un « Club des amis du Sahel ». La fondation du Club fut entérinée par les hauts représentants des donateurs et, au même moment, par les ministres sahéliens réunis à Dakar en 1976. Dès lors que ce regroupement incluait tout aussi bien les donateurs que les sahéliens eux-mêmes, on ne parla plus que du « Club du Sahel ».

Mais, et cela était tout à fait nouveau pour l’époque, le Club devait constituer également un lieu de dialogue sur les politiques de développement entre les pays et les donateurs. C’était, avant la lettre, la première instance de « dialogue sur les politiques ».

Fort de l’appui des ministres du CILSS et de plusieurs autres donateurs membres de l’OCDE, la Coopération française et l’USAID ont alors proposé que le Secrétariat du Club soit administré par l’OCDE. Dès 1976, ils ont souscrit le financement nécessaire pour défrayer les charges modestes de ce secrétariat. Le Canada apporta dès le début son soutien à l’effort entrepris : en mai 1977, il organisa, à Ottawa, la première Conférence du Club du Sahel.

Dès cette réunion d’Ottawa, il devint clair que des problèmes de politique de développement empêchaient les donateurs d’apporter tout l’appui désiré aux efforts des Sahéliens. En outre, les politiques de prix payés aux producteurs pour les céréales locales (mil, maïs, sorgho) constituaient un blocage à tout progrès dans le domaine de la sécurité alimentaire. De ce fait, les projets proposés risquaient de ne pas trouver preneurs. Pour leur part, les ministres sahéliens ne comprenaient pas la résistance des agences à contribuer aux dépenses récurrentes encourues à la suite d’investissements nouveaux. D’importantes études furent alors entreprises.

La première de ces études est celle portant sur les marchés céréaliers sahéliens. [1] Basée sur une analyse micro économique rigoureuse, elle mit en évidence les effets pervers de politiques fondées sur un plafonnement des prix céréaliers, au producteur, qui favorisait la ville au détriment de la campagne et les importations au détriment de la production locale, ainsi que l’inefficacité des circuits de commercialisation des produits agricoles, contrôles par des organismes d’État. L’étude recommandait la mise en place de prix agricoles plus rémunérateurs pour les paysans et un plus grand recours aux marchés privés dans la commercialisation des produits de la campagne.

La seconde de ces études, terminée an 1981, porta sur les dépenses récurrentes de fonctionnement et d’entretien engendrées par la mise en oeuvre de projets et programmes publics de développement financés par l’aide étrangère. [2]. Il n’existait auparavant aucune étude économique sur ce sujet. Les auteurs du rapport procédèrent d’abord à une estimation prévisionnelle de ces flux de dépenses à la fois au niveau sectoriel et national des États sahéliens. Devant leur ampleur, ils recommandèrent, entre autres, la privatisation de certaines activités productives de l’État, la nécessité de faire payer les bénéficiaires de projets sociaux dont ceux fournissant des soins de santé primaires, un meilleur équilibre entre éducation primaire et éducation supérieure, la revue serrée des dépenses publiques, la fermeture de certains projets d’infrastructure comme des routes de prestige inutilisées, la participation des populations à l’élaboration des programmes de recouvrement des dépenses, l’abandon de certaines technologies de mise en place comme des hôpitaux ou des universités suréquipés, la décentralisation budgétaire comme dans le cas de la prise en charge de l’entretien des ouvrages d’hydraulique rurale. Dans le cas des pays sahéliens, membres de la zone monétaire CFA, s’ajouta la recommandation d’une dévaluation du franc CFA.

Une dynamique tournée vers l’innovation

C’est ainsi que dès 1977, le mandat premier du CILSS commença graduellement à se modifier. La recherche de réponses appropriées aux questions typiques de la région occupa une part de plus en plus importante du temps. Au début, les questions étaient relativement simples : « À quel prix acheter le maïs ? Comment harmoniser l’entretien des puits ? Quelle politique de vaccination pour les troupeaux est la plus économique et la plus efficace ? etc. »

Mais graduellement, le dialogue entre les pairs démontra que la résolution des problèmes importants qui frappaient la région débordait le cadre strictement technique et allait au-delà des questions « sectorielles ».

Timidement, puis avec de plus en plus d’assurance, les agences et les autorités sahéliennes prirent l’habitude de remettre en question bon nombre de « lieux communs ». En voici deux exemples. Au départ les travaux du Club/CILSS renforçaient un biais anti-urbain à la fois dangereux et improductif. Cela sera éventuellement corrigé par les études sur l’expansion urbaine en Afrique de l’Ouest, l’étude WALTPS . Pendant de nombreuses années,  la production sahélienne a été sous-estimée alors que son efficacité était plus grande que ce qu’on en estimait. Trop d’aide alimentaire était envoyée en provenance des pays du Nord et ceci avait un effet dépresseur sur la production locale. Une Charte de l’Aide alimentaire fut alors définie afin de palier à ces distorsions. Depuis la réflexion prospective engagée en 1986 – et dont les résultats furent publiés en décembre 1988, sous le titre : Le Sahel face au futur -, des questions beaucoup plus vastes et complexes confrontent les agences et les administrations sahéliennes, comme par exemple celles concernant l’intégration régionale ou la décentralisation.

C’est dans un constant brouhaha d’intérêts et d’idées que s’instaure la recherche d’innovations

L’OCDE demeure une source reconnue d’innovations dans la gestion des affaires publiques. De nombreuses idées brillantes et novatrices ont été conçues dans son creuset. Certaines sont depuis inextricablement associées à l’OCDE; mais le plus souvent, bien qu’elles y aient germé, c’est sur d’autres tribunes qu’elles ont été popularisées. Par exemple, c’est au sein de l’OCDE que l’idée de résoudre l’enjeu complexe et pratique du charbon et de l’acier a pris naissance. De là, elle s’est développée graduellement pour engendrer une autre idée extrêmement porteuse : celle de la Communauté européenne. Cette ascendance est peu connue, tout comme on ignore généralement que c’est dans les officines de l’OCDE que sont nés le principe environnemental du « pollueur payeur » et le concept du « développement durable ». L’élaboration de méthodes et d’outils nouveaux, par exemple les « parités de pouvoir d’achat » ou les « équivalents de subvention agricole », a permis de faire progresser des discussions et des négociations qui étaient dans l’impasse.

Le consensus étant obligatoire pour chaque décision, c’est l’équilibre entre diverses tensions dynamiques qui est à la base de recherche de solutions novatrices. Dans un tel réseau, les différentes forces qui s’exercent dans la configuration d’ensemble doivent en tout temps s’équilibrer les unes les autres, puisqu’il n’existe aucune hiérarchie susceptible de pallier les déséquilibres occasionnels ou permanents.

A l’intérieur de chacun des pays de l’OCDE, les institutions gouvernementales préservent leur dynamisme en se frottant constamment aux tensions créées par les divergences d’intérêts et de priorités des groupes de pression. Ainsi, les décideurs des politiques agricoles sont soumis aux pressions exercées par les fermiers, les transformateurs alimentaires et les entreprises connexes, les consommateurs et plusieurs autres groupes, y compris leur propre fonction publique. Ces tensions trouvent plus ou moins leur équilibre sur le long terme (et parfois, plutôt moins que plus), de sorte que les lois et les pratiques en vigueur restent justes, peu ou prou, envers tous les secteurs de la société. Cette dynamique complexe se répercute jusque dans l’OCDE elle-même. Les représentants nationaux ont le mandat d’adopter des positions qui, à plus ou moins long terme, finiront par témoigner de la disparité des intérêts des pays concernés.

Devenu client, le bénéficiaire n’est plus un pair

Toutefois, la réflexion sur l’aide est tenue au sein du CAD, le Comité d’Aide à la Coopération. Hélas, le CAD est une entité « déséquilibrée » eu égard à la nature des problèmes que ce comité doit traiter. En effet, contrairement à ce qui s’est passé au sein du Club du Sahel, ce sont les membres ordinaires de l’OCDE qui forment ce comité : les bénéficiaires de leur aide n’en font pas parti, sinon occasionnellement. En somme, il manque une moitié essentielle des intéressés à l’aide. Le dialogue qui s’installe en permanence n’a pas la dynamique qui permet l’émergence d’idées novatrices qui collent à la réalité des problèmes. Ainsi, s’est-il opéré un glissement progressif dans la définition même de ce qu’était l’intérêt de l’aide. Dans bon nombre de pays, le  véritable « client » est le contribuable et ce dernier est représenté par les forces commerciales, ou les entreprises domestiques dont les organisations sans buts lucratifs.

L’aide écarte ainsi les récipiendaires des activités motrices du développement. En particulier, ils ne prennent aucune part à l’élaboration des programmes, à la conception des projets et à leur mise en œuvre. Ils font même rarement partie des équipes d’évaluation a posteriori.

Comme on a pu le voir au Rwanda après 1993 ou plus récemment à Haïti, un pléthore d’ONG s’installent dans le pays et y font la pluie et le beau temps, confiantes qu’elles savent mieux que le gouvernement local ce qui est bon pour le pays. Le gros des crédits de l’aide est transféré via ces derniers.

Pour une vision renouvelée des rapports entre donateurs et bénéficiaires

L’aide a très peu évolué depuis la fin des années 70. La première raison à cela est liée au fait que la coopération ou l’APD, a perdu l’importance qu’on lui accordait en milieu de la décennie 60. C’était une époque où l’on croyait qu’en 20 ans le sous-développement aurait été éliminé et qu’il importait au plus haut point de contrecarrer « l’effet Bandung », c’est-à-dire, la création d’un Tiers monde hostile à l’Occident et favorable à l’URSS.  Mais depuis, l’élargissement et le fonctionnement de la CEE ont accaparé l’énergie et l’innovation des Européens, alors qu’en Amérique du nord, d’autres priorités ont évacués les rapports dits « Nord-Sud ».

La seconde raison tient à l’absence des récipiendaires dans les réflexions sur l’aide. Les donateurs se plaignent souvent du fait que les récipiendaires ne s’approprient pas les programmes et les projets. Le développement n’est pas une médecine que l’on administre à d’autres; c’est un processus qui doit émaner de l’intérieur. En d’autres termes, l’acquisition de connaissances et de technologies doit être considérée comme un objectif interne dès le départ; on ne peut pas simplement espérer qu’elle survienne en cours de programme ou de projet.

Les donateurs devraient au premier chef engager un véritable dialogue avec les candidats à l’aide internationale (on peut penser qu’ils seront disposés à participer à ces discussions), les aider à déterminer les systèmes qui correspondent le mieux à leurs propres traditions, culture et objectifs, puis leur confier les rênes du processus. La méthode inverse, qui consiste à définir un « programme de changement » dans les capitales des pays donateurs, échoue presque à coup sûr à fournir les résultats voulus.

Ce dialogue sur les politiques ne saurait se résumer à une grand-messe collective dans une grande capitale de laquelle seront tirée de jolies conclusions générales. Le diable se cache toujours dans les détails. C’est dans chaque pays que le dialogue doit s’établir afin de s’entendre entre tous les partenaires – et cela sans tolérer d’exceptions, afin de définir avec le bénéficiaire le « cocktail mixte » de choix de systèmes qui constitueront dorénavant le système de gouvernance de chaque pays. Les donateurs devront s’y plier sans réserve, et ainsi mettre de côté l’orgueil national (quand le modèle retenu n’est celui que les représentant de ce pays auraient préférés) afin d’accompagner véritablement le développement.


 

[1]  . (Le recueil des documents du CILSS et du Club du Sahel recense vingt quatre documents  publiés sur cette question. La première date de 1976 et la dernière a été publié en 1987. On peut  se référer à la synthèse préparée sur ce sujet par Elliot Berg: _ La réforme de la politique  céréalière dans le Sahel: résumé et conclusions, août 1986, ref. D(86)294).

[2]  Le Receuil des documents du CILSS et du Club du Sahel recense quarante cinq documents  publiés sur cette question. La première date de 1978 et la dernière (ref. D(85)264) _ Planification  macroéconomique et dépenses récurrentes au Sahel, par André Martens et Clive Gray _ a été  publié en juin 85



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